Le Maître du papier

Tibari Kantour est le maître incontesté du papier. Il a été depuis bien des années le premier et à ma connaissance le seul à ce jour à avoir introduit dans l’espace de la création esthétique chez nous une technique, un art qui sans doute repose sur une vielle et noble tradition ; tout un art plutôt qu’une simple technique qui exige toute une installation lourde, coûteuse : cuve presse et autres. Depuis tant d’années, il s’est consacré corps et âme à ses recherches marquées par des voyages, des stages, les efforts pour s’assurer toute documentation utile pour ce faire… Mais je crois qu’il y a quelque chose d’essentiel fait que Tibari est parvenu à la pleine maîtrise de son art tout au long d’un parcours, un périple lourd de significations secrètes qui ont mis un temps pour germer et s’ouvrir comme une fleur.

Dans sa maison où a été aménagé son atelier a Sidi Maâchou, loin de toute présence humaine proche, c’est le silence et dans cette pureté d’une ascèse, la méditation, hors du temps, blanche dirait-on comme ce papier qui sera marqué par son empreinte. A proprement parler, l’univers de Tibari est là, son œuvre déjà considérable et qui continue à ce jour. Une œuvre d’une originalité incontestable et qui signe un des grands moments dans l’histoire de la peinture marocaine. La découverte au sens premier et à laquelle son nom restera attaché c’est que le papier créé à la faveur de cet art qui n’est pas un simple support comme on pourrait le croire : il recèle et révèle des virtualités esthétiques insoupçonnées en tant que matière, bouleversant les idées reçues, et qui par elle-même, à l’image d’une énergie puissante travaillant dans les entrailles de l’invisible, est ce limon germinatif de la créativité esthétique.

Subtile et invisible écriture, on le voit dans la peinture de Tibari où le frémissement de cette blancheur comme les limbes d’une naissance, reçoit et anime l’intervention d’un jeu de formes, de traces, la couleur dont la dominante est l’ocre, comme une signature ponctuée de taches noires en certaines toiles. ..ll me vient à l’idée que Tibari a fait du papier, aussi inédit et même étrange que cela paraisse, l’alphabet de son écriture, tel le poète qui a recours aux mots pour écrire le poème. La subtilité de cette écriture s’affirme avec éclat dans le véritable enchantement de ces très belles compositions, ces toiles de grands formats. Ainsi Tibari lui-même explique que pour obtenir cette transparence, cette lumière a et cet espacement, il procède au marouflage de papier de soie sur la toile. J’ai été frappé de voir en ces grandes compositions des formes massives qui feraient penser parfois à des pans de rochers impressionnants et je me suis demandé si cela avait été dessiné sur la toile. Pour obtenir ces formes il déchire le papier à chaque fois qu’il le colle sur la toile. On voit là combien il est pertinent de parler d’une écriture où l’imagination fertile ludique dans sa créativité manipule le papier de soie par déchirures. Et enfin là où selon l’habitude on pense à ces fameux pigments comme recette secrète, Tibari utilise pour la couleur des encres spéciales de la gravure, obtenant ainsi la transparence et cette matérialité presque à toucher du doigt sinon du regard. Mais il est temps d’oublier toutes considérations pour vous arrêter longuement devant ces très belles toiles et laisser à vous cette pointe de plaisir d’émotion esthétique. Que Tibari soit conforté dans valeurs et remercié pour ces moments de fête pour le regard qu’il nous offre.

Edmond Amran El Maleh