Saad Tazi

Parler d’art, c’est parler de l’intention du geste. C’est également parler d’un univers singulier indissociable de son auteur. Le médium, s’il est secondaire nécessite une maîtrise à la fois technique et esthétique. Pourtant, le choix du support reste important, puisque c’est lui qui permet à l’idée de s’exprimer au mieux.

L’œuvre de Tibari Kantour respire l’espace dans lequel il vit et travaille. Se soumettre à l’horizon qui lui fait face chaque jour, se laisser imprégner par le vent frais qui circule entre les arbres, laisser son regard flotter sans obstacle et la quiétude des lieux prendre possession de soi loin du tumulte de la ville. Tout cela se retrouve par bribes, tantôt sur une toile, tantôt dans la texture d’un papier ou encore dans le volume de l’argile et la douce lueur de la céramique.

Lui rendre visite est un plaisir. Le visiteur repart, tous sens rassasiés par la générosité du maître des lieux qui s’active d’un atelier à l’autre, sans omettre le passage obligé par la cuisine et le moment de partage autour d’une table à l’image du reste, simple et authentique.

Les ateliers de Sidi Maachou sont spacieux et clairs. La lumière entre de tous les côtés. Partout des outils, pour la plupart confectionnés par l’artiste lui-même, qui sont autant de réponses aux questions qui surgissent pendant la phase de création. Mais le plus important, c’est cette atmosphère particulière qui ressemble à celle d’une ruche habitée par une seule abeille qui occuperait tous les postes. Bruits de pas, de machines qui se mêlent à la respiration de l’artiste absorbé par ses multiples tâches, on comprend qu’il se passe quelque chose de particulier avec une dimension quasi-mystique. Kantour se déplace d’un point à l’autre dans un ballet dont lui seul connaît la chorégraphie. La pulpe est brassée dans un coin, coulée sur une table aux dimensions respectables qui laisse s’échapper l’eau à travers un filet ingénieusement tendu sur le plan de travail et voilà la première forme de ce papier qui sera ensuite travaillé pour lui donner son relief et ses couleurs.

Dans un coin, du papier de soie chiffonné, portant plusieurs couleurs, servira à maroufler les toiles selon l’inspiration du maitre des lieux.

Un peu plus loin, l’atelier de céramique avec ses fours, ses oxydes aux noms de voyages lointains. Dans le bâtiment attenant, un atelier de menuiserie fait face à celui de gravure et à la réserve où se reposent les œuvres dans un silence monacal avant de se soumettre au regard et aux mots des amateurs d’art.

Les ateliers de Sidi Maachou font aussi partie de l’œuvre de Tibari Kantour. Ils imprègnent son travail autant que ce dernier les façonne. Rien n’est dû au hasard.

Parler d’art, c’est aussi, qu’on le veuille ou non, parler de sens, ce qui rejoint partiellement la question de l’intention première.

Si le public a besoin de l’artiste, l’inverse n’est pas vrai. Il n’y a de création avérée que de la part de celui ou celle qui a quelque chose à exprimer et à partager. Cela suppose donc un questionnement permanent, un dialogue dont les éclats retombent sur la toile ou le support choisi.

En regardant travailler Tibari Kantour, en l’écoutant évoquer les différents matériaux qu’il soumet à sa volonté, l’évidence voudrait qu’on le qualifie d’artiste pluridisciplinaire. Mais sans être fausse cette assertion mérite d’être nuancée.

Qu’il s’agisse des différentes pulpes qu’il transforme en papier précieux, de peintures à la palette si caractéristique ou encore de céramique, Kantour ne passe pas d’un registre à un autre comme on passerait d’un sujet à un autre. Au contraire. C’est le chemin de vie d’un homme qui a consacré toute son existence à la recherche de la beauté, à l’édification d’un espace où convergeraient les énergies positives de l’artiste et des personnes sensibles à son art. Ses mots sont de papier, de pigments, de toile et d’argile. Et c’est avec la liberté, la douleur, la soif, le doute et le désir de celui qui cherche la vérité, une vérité, sa vérité, peu importe, qu’il nous questionne sur la place de l’Homme dans l’univers.

L’Art est une quête avant d’être une marchandise. Il tente de poser des questions et d’apporter parfois des pistes de réponses sous forme d’ellipses ou de propositions. Une œuvre est donc toujours l’amorce ou l’invitation à la discussion.

Pour cette exposition, le choix des œuvres répond à la dynamique du lieu, mais s’inscrit dans la continuité du chemin que l’artiste se fraie à coup de brosses et d’outils pour approfondir la connaissance de soi, c’est-à-dire la question fondamentale de la vie.

A l’image des orfèvres qui utilisent la puissance du feu et le poids du marteau pour ciseler les plus fins et les plus délicats bijoux, Kantour fait chauffer le zinc dans une technique qui lui est propre pour obtenir des gravures où la cendre répond à la couleur, où les signes écrivent des phrases sans mots et où la chaleur des couleurs renvoie au tempérament de leur auteur.

Les motifs mystérieux et les couleurs se transportent allègrement des peintures marouflées sur toile au papier sculpté ou encore aux céramiques comme pour sonder les possibilités d’un monde qui refuse de se livrer sans effort.

Quel que soit le support choisi, il existe un lien que l’on pourrait qualifier de style personnel de l’artiste reconnaissable entre tous. Ce qui change, c’est l’écho de la matière. Un même trait, une même couleur, appliqués sur du papier de soie, coulés dans la texture même du papier ou sur une feuille d’argile n’expriment pas la même chose. Les mots de l’alphabet de Tibari Kantour peuvent se décliner en une multitude de combinaisons qui donnent à leur tour autant de poèmes pour les yeux.

Ce qui reste, une fois que l’œuvre est terminée, quand elle est accrochée et qu’elle invite au dialogue celui ou celle qui la regarde, c’est l’émotion, c’est la beauté et c’est cette ouverture sur le monde singulier d’un artiste singulier.

Saad Tazi