Tibari Kantour : Le language du papier

Le langage du papier

Pour ce numéro spécial dédié à Edmond Amran El Maleh, il était naturel de choisir de conunenter l’œuvre de Tibari Kantour, un de ses amis les plus proches, avec lequel il a longtemps collaboré et écrit « La malle de Sidi Maâchou » (éd. Al Manar, 1997).

L’artiste

Tibari Kantour est né en 1954 à Casablanca, il vit et travaille dans la région de Sidi Maâchou proche d’El jadida. Après avoir terminé ses études à l’école des Beaux-Arts de Casablanca en 1974, il s’oriente vers l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège en Belgique (1978) puis vers celle de Bruxelles (1980). En 1989, il se fait remarquer au concours de la Nouvelle Peinture Marocaine organisé par la Fondation Wafabank. Il expose individuellement depuis 1990, date de son exposition à la galerie L’Atelier de Rabat. Il entretient depuis lors des relations avec les maîtres du papier en Europe et en Extrême-Orient.
Figurant parmi les artistes matiéristes les plus tenaces de ces vingt dernières années, une des
particularites de Tibari Kantour est qu’il est à la fois le créateur et l’artisan de son oeuvre, s’attachant a fabriquer lui même son papier.

Le vocabulaire silencieux de Tibari Kantour

Tibari Kantour, un artiste accompli dans la maîtrise de son langage comme dans celle des matériaux utilisés dans son vocabulaire artistique.
Tibari Kantour réinvente le dessin sans jamais utiliser de crayon ni la couleur peinte. Il réinvente aussi le support, un papier qu’il fabrique lui-même,au prix de longs et fastidieux efforts, dans son atelier à Sidi Maâchou, où il s’ingénie à la manière d’un Léonard de Vinci, à construire des machines et des presses qui serviront à la fabrication de la pâte à papier ou à la gravure d’estampes.
Le papier n’est plus un support, mais une matrice prête à accueillir les gestes, les dépôts de matière, les écritures… Tout un vocabulaire fait de signes : quelques Lignes, quelques traits elliptiques épars, gravés, creusés, ou affleurant délicatement à la surface de l’œuvre ou rassemblés en touffes comme pour imiter, sans jamais la mimer, l’essence du végétal.
Tibari se sert toujours en effet de matières naturelles et organiques: doum, charbon, oeufs, coquillages,…
Sa gestualité est celle d’une nature sauvage: papier brûlés, éclats de rouille. . .Ses assemblages, des strates d’une archéologie du papier.

Débute ascétiques

Dans les premières œuvres (1980-1989),Tibari Kantour se concentre sur le papier, une pâte planche qu’il laisse macérer dans des cuves avant de la filtrer, puis de la recueillir et de L’assembler morceau par morceau, ce qui lui confère son aspect granuleux et accidentel. Il en explore les épaisseurs et la couvrante, en y inscrivant des formes en creux (incrustation de formes ovoïdes pas exemple), des inscriptions vives au feu, des traces indéchiffrables, quelques applications de matières, des écritures furtives qui semblent vouloir échapper a la pesanteur du geste.

L’espace et son double

A partir des années 90 et 2000, l’artiste explore la transparence et introduit la couleur. Il tente de dompter les opposés. Il superpose ou juxtapose plusieurs couches de papier de soie très fin sur de la toile brute. Ce geste nécessite une grande délicatesse en raison de la fragilité extrême du papier et des techniques d’encollage qui ne doivent altérer ni la transparence ni la couleur, introduite au moment du moulage du papier. Ce sont des nuances de vert jade, d’orangés flamboyants, qui forment comme les strates géologiques d’un paysage souterrain, d’une grotte ou d’une montagne.
Plus récemment, l’artiste semble creuser le sillon de la matière en profondeur, et le papier qu’il Fabrique est devenu l‘outil quasi exclusif de son répertoire. Depuis son exposition à la galerie Bab Rouah de Rabat en 2006, il ose les grands formats, s’affirme dans la couleur, Ainsi, dans les œuvres de 2008, apparaissent des épaisseurs, des reliefs comme une tentation de sculpter le vide.
En 1993, Abdelkébir Khatibi et Moulim El Amussi avançaient a propos de Tibari Kantour : «Kantour grave des traces certes illisibles mais rappellent par leurs couleurs et leurs formes, les tracés du tatouage et du henné. Son amour pour la matière ne semble pas li suffire. Ainsi, il charge ses surfaces de signes qui brouillent le propos. Il est l’un des jeunes peintres qui se font lentement une place sur la scène artistique et avec beaucoup de mérite.»
Celui-ci, alors fraîchement débarqué avec un travail ne s’apparentant à aucun autre, a continué son chemin, irréductible aux tentations narratives concentré sur le geste et la matière qui déchirent l’immensité d’un cri silencieux.