Voyage sur les sentiers de la création avec Tîbari Kantour

‘ je propose a chacun l’ouverture des trappes intérieures, un voyage dans l’épaisseur des choses, une invasion de qualités, une révolution ou une subversion comparable à celle qu’opère la charrue ou la pelle lorsque tout a coup et pour la première fois sont mis à jour des millions de parcelles, de paillettes, de racines, de vers et de petites bêtes jusqu’alors enfouis ‘

Francis Ponge

C’est à Rabat dans la maison de Pauline de Maziéres (sa galerie  » l’Atelier  » lut la première à monter le travail de cet artiste en novembre 1989 après son long séjour en Belgique que j’ai découvert “mon” premier Tibari Kantaur : un petit carré de papier dans les camaïeux roses dégradés, orné de trais points rouges rappelant les ornements des poteries de Fès : feuille humble, mouvante, essentielle.
[exposition que lui a consacre mon collègue de l’institut Français de Casablanca, Jean-François Marguerin, m’a confirmé l’intense poésie de cette œuvre subtile, le rapport intime de l’artiste avec un matériau épousé, labouré, transformé, l’enchantement d’une palette douce et joyeuse, où les pourpres et les jaunes d’or célèbrent la vie dans sa dimension la plus spirituelle.

Des signes ou écritures esquissées zèbrent parfois l’espace coloré où transparaissent le veinures d’une feuille a demi broyée.
On sent sourdre la sève des arbres dans ces œuvres sur lesquelles flatte un parfum d’humus, d’épices, et de mousses blondes. Et parler de l’arbre, c’est parler de l’homme dans sa globalité, de son rapporta la nature, de sa pensée poétique et mythologique, de sa capacité à créer et à nous enchanter.

Ainsi est née l’idée de confier à Tibari Kantour le projet d’une exposition dédiée à l’arbre, à l’occasion d’une visite ò Sidi Maachou, lieu austère et sans concession où travaille l’artiste.
Nous avions gagné ce lieu par des chemins cabossés et battus par le vent froid de l’Atlantique proche. Les nuages vagabondaient dans un ciel chargé d’humidité. La voiture zigzaguait, dansait sur la route au fil des paroles et des rires légers de Tibari.

C’est ici a Sidi Maachou que l’on comprend mieux le combat obstiné de l’artiste avec la matière dont il extrait ces grandes feuilles souples, grumeleuses, striées par la pulpe du bois. Car Tibari Kantour fabrique lui même les supports de ses rêves éveillés : cuves, étendoirs, presse, séchoir, lourds maillets en bais de pin sont ses premiers compagnons d’aventure dans le processus artisanal qui précède la recherche artistique.

Du levage des feuilles, a la mise en couleurs et en espace, cette connivence, cette maîtrise d’un savoir faire donnent ainsi ò l’œuvre de Tibari Kantour un côté tactile, mais aussi une complétude liée à la proximité de la main et de l’esprit.

C’est la aussi, dans ces murs chaulés, exposés aux intempéries et ouverts à l’infini de l’horizon que l’on touche à l’extrême solitude dans laquelle Tibari Kantour explore un monde imaginaire, secret, qui s’épanouit en grands aplats de couleurs dans l’espace du papier aux frontières ondulantes.
Impression devant ces œuvres d’être à l’aube des premiers matins du monde, dans cette lumière lisse comme l’eau, cette eau essentielle pour l’élaboration du papier.
Poésie portée à son incandescence : René Char eut aimé cet artiste en quête permanente d’un univers enfoui, mystérieux, qu’il nous restitue avec tendresse et précaution.
 » Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, écrivait le poète, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière « .

C’est sur ce seuil que nous porte le travail de Tibari Kantour.
Les racines et l’arbre, la terre et le ciel, le papier et la peau, le dit et l’indicible, le clair et l’obscur, tout est dans cette œuvre qui invite au voyage intérieur, au-delà des conventions artistiques et culturelles.

Merci Tibari Kantour d’avoir accepté de venir a Marrakech avec ces œuvres spécialement conçues pour elle.
Car l’arbre ici, dans ce désert qui s’écoule au pied du Haut Atlas, est devenu trop rare, humilié par l’homme pressé et insouciant. Il fallait rendre a l’arbre sa beauté et sa nécessité et qui d’autre qu’un artiste pouvait mieux le faire que vous ?
Merci aussi d’être venu avec vos étranges machines à broyer, malaxer, étirer cette matière première qui constitue le support de votre travail : occasion unique pour les marrakchis d’entrer avec votre complicité dans l’alchimie de vos rêves.

Souné Prolongeau – Wade
Directrice de I’IFM